Lefaso.net : Dites-nous ce qui est passé dans la nuit du vendredi 18 octobre 2019.
Ousmane Ouédraogo : Dans la nuit du vendredi 18 octobre 2019, nous nous sommes rencontrés suite à la question du licenciement concernant 16 policiers. La séance de la rencontre a été levée et chacun a pris sa route pour rentrer. En rentrant, je me suis arrêté à la station pour prendre du carburant. Arrivé à domicile, j’étais en train d’ouvrir ma porte et soudain, j’ai entendu un coup de feu. Je me suis retourné et j’ai vu un individu. Avec le réflexe de policier et avec le b.a.-ba de la formation, je me suis plaqué. Il a encore tiré deux balles vers la moto. La deuxième tentative a touché ma moto. S’il tirait encore, il allait me toucher.
Je me suis levé et je me suis caché derrière ma maison. Celui qui était sur la moto a dit à celui qui tirait de venir ils vont s’en aller car je suis touché. Ils sont venus à deux sur une moto, à visage découvert. Et comme j’étais caché, ils ne savaient pas si réellement j’étais touché ou si j’allais riposter. C’est dans cette attente-là qu’ils ont démarré pour partir. Après leur départ, j’ai saisi la police qui est venue faire le constat et l’enquête suit son cours.
Cette tentative d’assassinat est-elle liée à la guéguerre entre l’APN et l’UNAPOL ?
Non, je ne pense pas que ce soit ça. Mais depuis la création du syndicat, les plus hautes autorités ont tout fait pour faire disparaître le syndicat, parce que nous n’avons pas voulu accepter des choses qui n’honorent pas le corps de la police. C’est tout cela qui fait qu’on nous traite d’indisciplinés ; on nous blâme, on n’a pas de salaire.
Pensez-vous que c’est parce que vous voulez défendre vos droits que l’on veut vous assassiner ?
C’est vraiment ça, puisque l’un de nos chefs a eu le courage de nous dire que « vous êtes trop jeunes » et que « vous êtes venus trouver la police comme ça, donc il faut laisser les choses telles qu’elles sont ». Certes, nous n’allons pas changer les choses en un temps-record mais nous allons tenter de faire les choses autant que possible, car d’autres viendront poursuivre le reste.
On ne peut pas accepter des choses qui ne sont pas humainement acceptables ; nous refusons cela. Imaginez un chef de service qui va dire par exemple à ses éléments d’aller à une mission sans le matériel convenable. Que si vous mourrez, il y a 10 millions qui vous attendent. Est-ce que ces propos doivent venir d’un chef qui se dit réellement chef ? Ces 10 millions, on pouvait les utiliser pour payer de bons gilets pare-balles pour permettre aux éléments d’aller en mission bien protégés.
Le moral est-il au beau fixe ?
Nous pensons que dans toute lutte, il y a des conséquences. Par exemple, Norbert Zongo a perdu la vie dans la lutte à cause de la presse, et aujourd’hui cette presse connaît une certaine liberté. Donc nous sommes persuadés que dans une lutte, tout peut arriver. Mais nous luttons d’abord pour rétablir nos salaires et pour qu’on cesse de nous qualifier d’indisciplinés.
Depuis votre tentative d’assassinat, avez-vous reçu le soutien de votre hiérarchie ?
Depuis cette tentative d’assassinat, aucun de la hiérarchie ne m’a apporté du soutien. Je n’ai même pas reçu un appel d’encouragement de nos frères de l’Union police nationale (UNAPOL). Mais ce sont les sous-officiers des quatre coins du pays qui m’apportent du soutien.
Après ces événements, qu’allez-vous faire pour assurer votre sécurité ?
Nous avons pris des moyens pour assurer au moins notre protection à l’interne. Certes, on ne peut pas riposter mais si des situations pareilles se présentent encore, nous allons nous défendre. Face à l’urgence, l’autorité doit voir dans quelle mesure prendre des dispositions pour nous protéger.
Votre réunion du 18 octobre portait sur une affaire de proposition de licenciement de membres de l’APN dont vous avez eu vent. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
On avait décidé d’affecter tout le bureau de l’APN, alors que nous avons dit dans nos statuts que le siège du syndicat est à Ouagadougou. De ce fait, les premiers responsables doivent y résider. Sur 11 membres, on a affecté 10 et il ne restait qu’une seule personne à Ouagadougou. Ce qui nous a conduits en justice et quand la décision a été suspendue, nous sommes restés à l’écoute. Et après, nous apprenons sur les réseaux sociaux qu’il y a une proposition de licenciement qui a été faite par la division de la gestion du personnel de la police qui n’est autre que le service où se trouve un membre de l’Union police nationale (UNAPOL).
Après avoir pris connaissance de la note, nous avons saisi notre conseil, Me Farama, pour demander la voie à suivre, parce que la décision de justice qui suspendait les affectations est subitement transformée en proposition de licenciement.
Il faut noter que quand l’affectation a été suspendue le 9 août, nous nous sommes rendus à la direction de la police nationale pour leur dire que la note d’affectation ne tient plus parce qu’elle a été suspendue par le Tribunal administratif. On nous dit de photocopier la décision de justice et les attestations pour venir déposer à la direction du personnel. C’est ce que nous avons fait et on nous a dit de rester à l’écoute. Une semaine après, on ne nous appelle pas. Nous sommes repartis saisir le cabinet pour leur faire savoir que la hiérarchie policière n’a pas encore exécuté la décision de suspension de la note d’affectation. Le cabinet leur a adressé une correspondance pour leur expliquer que la décision d’un juge de référé s’exécute, même lorsqu’on n’a pas utilisé les voies de recours.
Pensez-vous qu’il y a une main de l’UNAPOL dans cette affaire d’affectation arbitraire ?
Oui, bien sûr, puisque c’est le secrétaire général de l’UNAPOL qui gère les affectations. Si vous voyez tous nos délégués régionaux, nos points focaux que nous avons installés, d’autres n’ont même pas une année de service dans leurs postes. Pourtant, dans les modalités d’affectation, on dit qu’un policier qui est dans son poste doit faire trois ans minium avant d’être envoyé ailleurs, sauf en cas de force majeure.
Avec tous ces faits, nous nous sommes réunis le vendredi 18 octobre autour de 20h30 pour préparer les correspondances pour les adresser au ministre de la Sécurité et au directeur général de la police, pour leur dire qu’il y a une décision qui est là, et on ne peut pas s’en passer pour proposer des licenciements pour abandon de poste.
Qu’est-ce qu’explique ce climat délétère entre l’APN et l’UNAPOL ?
Il n’y a pas de climat délétère entre l’APN et l’UNAPOL. Nous tous, nous revendiquons les mêmes choses et nous travaillons pour l’intérêt des policiers. Seulement, les idéologies syndicales ne sont pas les mêmes.
Quelle est la situation actuelle des membres de l’APN ?
Jusqu’à présent, nous ne touchons rien. En fin octobre, cela fera trois mois que nous ne touchons rien. Ton salaire ne suffit pas pour joindre les deux bouts et on te prive de ton salaire parce que tu réclames tes droits. Allez comprendre ! Et tous les agents qui se réclament de l’APN ont les mille problèmes avec la hiérarchie.
Sans salaire, comment vivent les membres de votre syndicat ?
Ce sont certains policiers qui, après avoir touché leurs salaires à la fin du mois, font une cotisation de 2000 F CFA. Et c’est cette somme que nous ramenons au siège et le bureau de l’APN est chargé de faire le dispatching pour que chacun puisse survivre.
Est-ce qu’ à ce rythme, l’APN pourra survivre ?
L’APN va survivre parce que toutes les grandes luttes sont toujours jalonnées par des obstacles. Et ce sont les peuples qui luttent qui vivent.
Propos recueillis par Issoufou Ouédraogo
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